
C'est un Bill Clinton au bord des larmes qui est intervenu vendredi soir pour prononcer un discours que la communauté noire attendait depuis 25 ans. Face à cinq petits hommes tous nonagénaires, engoncés dans des costumes un peu larges, et invités pour l'occasion à la Maison Blanche, le Président s'est excusé pour l'un des épisodes les plus douloureux de l'histoire contemporaine américaine: l'utilisation comme cobayes pendant quarante ans, de 1932 à 1972, de 400 hommes noirs atteints de syphilis, et à qui on a refusé tout traitement. «Je suis désolé que votre gouvernement ait organisé une étude aussi clairement raciste, a souligné Bill Clinton, et je suis désolé que ces excuses aient été aussi longues à venir.» L'étude de Tuskegee avait provoqué un véritable traumatisme dans la communauté noire américaine, lorsque les faits avaient été révélés au début des années 70. C'est dans cette petite ville d'Alabama, l'un des Etats historiquement les plus ségrégationnistes du pays, que les autorités médicales américaines avaient décidé de «sélectionner» au fil des années 399 noirs, tous pauvres et illettrés, et qui souffraient de syphilis. A ces hommes, on promettait un «soin gratuit du gouvernement». En réalité, ils étaient pesés à intervalles réguliers, mais les médecins leur refusaient tout accès à la péniciline, dans le seul but de comprendre l'évolution de la maladie. En quarante ans, 28 «cobayes» sont morts de la syphilis, 100 autres sont décédés de complications, et 40 femmes et 19 enfants ont contracté l'infection.
Outre les cinq survivants de l'expérience présents à Washington, trois autres qui n'avaient pas pu se déplacer, ont regardé l'allocution présidentielle depuis Tuskegee, dans une salle où avait été installé un écran géant. Devant Bill Clinton, Herman Shaw, 94 ans, a mis plusieurs minutes à trouver ses mots. «Les blessures qui nous ont été infligées ne pourront jamais se refermer, a-t-il dit, mais selon moi, il n'est jamais trop tard pour travailler à la restauration de la foi et de la confiance.» Durant la cérémonie, Bill Clinton a annoncé la création d'un centre de bioéthique à l'université de Tuskegee, qui sera aussi un mémorial au souvenir des victimes de Tuskegee. En 1972, le gouvernement avait payé 10 millions de dollars de compensation aux familles. Les excuses publiques du Président devraient en outre marquer le début d'une tentative de la Maison Blanche de s'attacher à promouvoir «l'unité de l'Amérique», un thème omniprésent dans la campagne de Clinton pour les élections de novembre 1996.
Dans la mémoire collective de la communauté noire américaine, «l'étude de Tuskegee» a longtemps été un symbole pour ceux qui défendent la thèse d'un «complot» de l'Etat fédéral contre les Africains-américains. L'année dernière, un journal de la côte ouest, le San Jose Mercury News, assurait pour sa part que la CIA avait encouragé le trafic de cocaïne dans les quartiers noirs de Los Angeles au début des années 80, afin de financer les contras nicaraguayens. Ce qui fut démenti par l'agence de renseignements. «C'est un nouveau Tuskegee, une nouvelle preuve que le gouvernement veut éliminer les Africains-américains», avait alors lancé Joe Madison, l'animateur noir d'un talk show radiophonique
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