Par un vote du Sénat, mardi, le Parlement a définitivement adopté le mécanisme de destitution du chef de l'Etat, une procédure qui attendait d'être applicable depuis sept ans.
Par un vote du Sénat, mardi 21 octobre, le Parlement a définitivement adopté le mécanisme de destitution d'un président de la République. Cette procédure n'existait pas jusqu'à présent dans la Ve République. Plus précisément, elle était inscrite dans les textes depuis sept ans mais sans être applicable. La loi va désormais devoir être validée par le Conseil constitutionnel avant d'entrer en vigueur.
La possibilité de destituer un président de la République est inscrite dans la Constitution (article 68) depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, à la fin du second mandat de Jacques Chirac. Elle n'est possible « qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », une formulation volontairement floue qui laisse de la place à l'interprétation.
Selon Didier Maus, professeur de droit à l'Université Paul-Cézanne Aix-Marseille III, interrogé par Libération et qui a participé à une commission sur le sujet sous la présidence de Jacques Chirac, il peut s'agir d'un blocage du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (refus de signer des lois votées par le Parlement, blocage de la Constitution, etc.) ou bien d'un « comportement personnel incompatible avec la dignité de la fonction » (crime, propos publics inacceptables, etc.).
La possibilité de destitution a été introduite comme une contrepartie à l'immunité dont dispose le chef de l'Etat, consacrée dans l'article 67 de la Constitution par la même réforme constitutionnelle de février 2007. Ce dernier prévoit en effet que « le président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité » et qu'il ne peut pas être traduit en justice (y compris faire l'objet d'une enquête ou être cité comme témoin) pendant son mandat.
Pour être applicable, cette procédure nécessitait une loi organique pour fixer les « conditions d'applications » de l'article 68 – chose faite désormais avec le vote du Parlement le 21 octobre.
Une destitution du président de la République devra franchir cinq étapes majeure pour être effective, détaille la loi organique adoptée par le Parlement (en intégralité sur le site du Sénat).
Constatant un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » du président de la République, des parlementaires (députés ou sénateurs) peuvent proposer à leur assemblée une proposition de résolution pour réunir la Haute Cour de justice. Cette proposition doit être signée par au moins un dixième des membres de l'assemblée (58 députés ou 35 sénateurs).
Elle est ensuite examinée, pour conformité, par le Bureau de l'Assemblée nationale (composé de 22 membres – voir sa composition actuelle) ou du Sénat (26 membres – voir la composition actuelle). Puis, s'il est jugé conforme, le texte est transmis à la commission des lois (constituée de 82 députés ou 49 sénateurs), qui décide de l'adopter ou le rejeter.
Si la proposition de résolution est jugée conforme puis, dans les quinze jours suivants, adoptée par la majorité de l'assemblée, elle est transmise à l'autre chambre, qui doit à son tour se prononcer dans les quinze jours.
Si la résolution est adoptée par les deux assemblées, le bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt. Les 22 membres de ce dernier doivent être désignés conjointement par les bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat en « s'efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée ».
En parallèle, une commission composée de six vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat est « chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour ». Elle dispose des pouvoirs d'une commission d'enquête parlementaire et peut entendre le président de la République ou son représentant. Elle doit émettre un rapport dans les quinze jours suivant l'adoption de la résolution.
Vient ensuite le moment de la comparution du président de la République devant la Haute Cour, qui ne peut durer que quarante-huit heures maximum, au bout desquelles le vote doit intervenir. Les débats sont publics mais seuls les membres de la Haute Cour, le président de la République et le premier ministre peuvent y prendre part.
La Haute Cour doit ensuite statuer dans un délai d'un mois, sans quoi elle se voit dessaisie. Si le président de la République est effectivement jugé coupable de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat », il est destitué de ses fonctions et redevient un citoyen et un justiciable « normal ». La Haute Cour n'a pas de compétence pénale et ne peut pas le condamner à une peine mais la destitution permet, le cas échéant, de poursuivre l'ex-président devant la justice.
Au sommet du pouvoir, la destitution entraîne la vacance de la présidence de la République et une élection anticipée a lieu dans un délai maximum de trente-cinq jours.
Lors de l'examen du projet de loi organique par l'Assemblée nationale, en janvier 2012, certains ont exprimé leurs craintes de l'ouverture d'une « boîte de Pandore ». François Bayrou, alors député des Pyrénées-Atlantique, a ainsi fait part d'« un risque de dévoiement de cette procédure et de sa transformation en une mise en cause répétée du chef de l'Etat ».
Mais la lourdeur de la procédure permet théoriquement d'éviter une « banalisation ». Chaque proposition de résolution doit être motivée et un parlementaire ne peut pas en signer deux durant un même mandat présidentiel.
Source : Le monde
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