Le président visite le Musée de la franc-maçonnerie à Paris, lundi. « Une forme de reconnaissance », décrypte Pierre Mollier, conservateur du musée.
François Hollande se rend au Musée de la franc-maçonnerie à Paris, lundi 27 février, une grande première pour un président de la République. Il visitera l’institution avant de prononcer une allocution. Une rencontre inédite, placée sous le signe de la reconnaissance de la contribution des valeurs de la franc-maçonnerie dans l’histoire politique française, explique Pierre Mollier, conservateur du Musée de la franc-maçonnerie et membre du Grand Orient. Il revient à cette occasion sur l’influence des loges maçonniques sur la politique actuelle.
Que symbolise la visite de François Hollande ?
Pierre Mollier : Il faut la replacer dans son contexte : elle se fait au Musée de la franc-maçonnerie, à l’occasion des trois cents ans de la création de la franc-maçonnerie moderne. En France, et plus largement dans les pays latins, les francs-maçons ont joué un rôle politique important, notamment dans la fondation de la IIIe République qui a été le premier régime démocratique durable en France. C’est la raison pour laquelle le président de la République a voulu marquer le coup. Il vient saluer une maçonnerie qui a été un vecteur de promotion des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité. Les francs-maçons ont puissamment contribué à l’enracinement des pratiques et des valeurs démocratiques dans notre pays. C’est une forme de reconnaissance de l’importance d’un courant philosophique dans l’histoire de France.
En quoi cette visite est-elle inédite ?
S’il y a eu quatre présidents de la République francs-maçons, et qui ont donc fréquenté à titre personnel le Grand Orient (Paul Doumer a même été secrétaire général de l’obédience), c’est effectivement la première fois qu’un président en exercice se déplace ès qualités rue Cadet, même si le cœur de la visite est le Musée de la franc-maçonnerie. Traditionnellement, les grands maîtres sont reçus régulièrement à l’Elysée, pour des cérémonies institutionnelles (vœux, 14-juillet, etc.) ou des rencontres de travail. Mais jamais le chef de l’Etat ne s’était déplacé en personne au siège du Grand Orient. Nicolas Sarkozy avait envisagé de le faire en 2012 mais cela ne s’était pas concrétisé. Il ne s’agit toutefois pas d’un temps militant – même si François Hollande connaît nos valeurs. Les questions politiques sont réservées aux rencontres entre le chef de l’Etat et le grand maître.
Les liens entre la franc-maçonnerie et la politique font l’objet de nombreux fantasmes. Qu’en est-il exactement ?
L’image que les gens ont souvent, pour s’en plaindre ou pour s’en féliciter, de loges qui discutent d’idées, d’un Grand Orient qui en opère la synthèse et qui la transmet aux frères parlementaires pour en faire des lois date de la IIIe République. Entre 1880 et 1914, la plupart des grandes lois qui établissent les bases de notre société démocratique moderne (liberté de la presse, liberté d’association, débuts de la protection sociale, école laïque et gratuite, etc.) sont conçues puis promues par les loges. La franc-maçonnerie reste longtemps, jusque sous la IVe République, très liée au Parti radical (Pierre Mendès France) puis à la S.F.I.O. (Guy Mollet). Aujourd’hui la franc-maçonnerie est plus diverse – il y a à présent aussi des personnalités de droite dans les loges – et son action sur la société passe par d’autres canaux.
Comment la franc-maçonnerie fait-elle entendre sa voix dans le débat politique aujourd’hui ?
Nos institutions ont bien progressé depuis la IIIe République et aujourd’hui la franc-maçonnerie fait part de ses analyses ou de ses préoccupations dans le cadre prévu par nos institutions : commissions parlementaires, consultation des représentants de la société civile par les pouvoirs publics… Nous envoyons aussi aux représentants de la nation les synthèses des « questions à l’étude des loges » rédigées chaque année. Les liens avec l’exécutif ont toutefois sensiblement évolué sous la Ve République. Le Grand Orient fait partie des institutions de la République et il a donc toujours été consulté. Mais ces liens se sont renforcés à partir des années 1980 et depuis le début des années 2000, notamment à l’initiative d’un Grand Maître comme Alain Bauer. Jacques Chirac, dont le grand-père était un frère très actif du Grand Orient, a été particulièrement attentif aux analyses proposées par les obédiences maçonniques. Il a multiplié les rencontres avec les responsables de la maçonnerie française.
Sur quels dossiers la franc-maçonnerie a-t-elle pesé récemment ?
Aujourd’hui, la franc-maçonnerie intervient surtout sur les questions de société. Elle a par exemple été très présente dans les débats sur la bioéthique. Par un heureux concours de circonstances, le Grand Orient a parmi ses membres des scientifiques pointus sur ces questions. En s’appuyant sur eux et sur le travail, plus philosophique, de ses loges, il a pu proposer aux pouvoirs publics des améliorations à la loi, notamment sur la difficile question de l’encadrement de l’expérimentation.
Il y a aussi eu le débat sur l’interdiction du voile à l’université…
Oui, les francs-maçons ont été sensibles à l’approche rigoureuse de la laïcité défendue par Manuel Valls - lui-même ancien membre du Grand Orient - et l’ont soutenu sur cette position. Un thème comme la laïcité, qui pouvait apparaîtredans les années 1980 comme allant de soi, ou en tout cas qui était moins l’objet de débat, est revenu au centre des préoccupations des Français.
Un membre du Front national peut-il être franc-maçon ?
Non, c’est d’ailleurs une des rares conditions d’exclusion du Grand Orient de France. On considère que les valeurs de l’extrême droite sont contraires à l’humanisme qui est au cœur de la philosophie maçonnique.
Y a-t-il des francs-maçons parmi les candidats à l’élection présidentielle ?
A ma connaissance, il n’y a pas de maçon actif parmi les prétendants à l’Elysée.
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